Un atelier écriture en psychiatrie adulte

Publié le par MAG

          L'écriture est un outil largement utilisé dans un dispositif groupal thérapeutique en psychiatrie de l'adulte, en raison de ce qu'il suscite chez les patients et de la simplicité de sa mise en pratique. Il s'agit, ici, d'aborder l'aspect théorique de ce qui se passe dans un atelier écriture.

D'abord, l’écriture ouvre à la création et à un espace de jeu matérialisé par le groupe autour d’une activité à thème et sur le principe de l’association libre.

Quelle est la place du jeu dans le travail d’écriture ? La dimension ludique permet d’abord de s’extraire du réel et de la réalité, investir un espace transitionnel où l’absence de l’objet est supportable. Le jeu et l’acte créateur offrent la possibilité d’investir une représentation par la capacité de mise en liaison des éprouvés et des représentations psychiques dans des scénarios symboliques.

A partir du thème choisi par les patients, un abécédaire est créé. C’est alors une succession de mots se rattachant au thème initial qui est élaboré par chacun des patients, de manière subjective et subjectivante. Chaque liste est ensuite lue à haute-voix par son auteur qui se confronte au groupe. Déjà dans ces listes, on peut évaluer la dimension symbolique : quels mots sont choisis ? Quelle est leur charge affective ? ...

L’atelier écriture fonctionne sur un travail de production, de création, mais aussi d’écoute active. Il ne s’agit pas d’avoir une écoute attentive individuelle –bien que cela soit nécessaire dans un premier temps- mais bien une écoute de ce qui se passe dans le groupe et dans sa progression au cours des séances. C’est pourquoi l’écoute est toujours collective. Chacun est invité à respecter la subjectivité et l’intimité de l’autre qui se dit en se lisant, par son écoute et son regard bienveillant. L’atelier écriture est une activité à la fois visuelle et sonore. Le temps de lecture est un moment crucial pour recueillir les effets ressentis par chacun, puisque le groupe est aussi invité à s’exprimer sur ce qu’il entend et sur ce que cela provoque chez lui. Cette règle absolue de respect de l’auteur est fondamentale : elle permet ainsi à chacun de s’exprimer sans nier les affects ni faire violence à l’auteur.

Certaines interventions sont chargées d’affect, que cela soit sous la forme d’admiration, d’émerveillement, de jalousie, de soutien, de rejet, de compassion, d’indifférence etc. Il faut juger combien ces interventions peuvent être extrêmes à travers le degré d’affect exprimé. Le rôle de l’animateur sera alors de médiatiser ce qui se passe, de manière à contenir les dérapages. Certains thèmes prêtent facilement à la provocation de réactions extrêmes ou, au contraire, inhibent complètement la pensée. A partir d’un thème « sensible » (reposant souvent sur une émotion), des souvenirs douloureux sont réactivés et trouvent un écho dans le texte. L’écriture est en cela une expérience régressivante, elle fait appel à des aspirations profondes et suscite parfois la réminiscence d’impressions jusque-là mises à distance. Il arrive que certaines situations soient bouleversantes pour les patients et se traduisent par l’effondrement du sujet en larme, avec un effort plus ou moins marqué de poursuivre la verbalisation.

L’écriture s’opère de manière solitaire, au domicile des patients et fait référence à l’intime, tandis que la lecture fait davantage appel à l’autre dans le groupe et à sa possibilité de réagir, de ressentir, de partager, de s’opposer.

L’inconscient parle et se déchaine à travers l’écriture comme langage.

Rapport de l’écriture à l’acte créateur : créer permet au sujet de donner forme aux forces pulsionnelles issues d’un état de désorganisation (menace de déliaison), consécutif à un évènement traumatique resté indépassable pour l’appareil psychique. L’écriture comme acte créateur peut donc réactiver et générer douleur et angoisse, par le surgissement d’un affect dont la représentation fait défaut. La dimension hallucinatoire et illusoire de l’atelier favorise ainsi le partage de nos émotions avec l’auteur.

Chaque sujet possède son style d’écriture qui est à mettre en lien avec son type de personnalité. Exemple d'une patiente qui, dans son attitude, son ressenti et son écriture, ouvre à une prolixité, une tendance à la dramatisation et un positionnement victimaire. L’atelier est le temps du groupe, où ce dernier va pouvoir s’exprimer à partir de ce qu’il entend et propose un feed-back au sujet, dont il tire librement les enseignements. Dans le cas de cette patiente, le groupe offre un regard et un support à l’expression, mais sans qu’elle ne puisse y attribuer une fonction plus symbolisante. Elle reste sourde à ce que lui renvoie le groupe.

 

« Ecrire, c’est communiquer avec autrui, mais c’est communiquer avec soi par l’intermédiaire d’autrui. Le lecteur devient alors un miroir. » (E. Vonarburg 1986)

 

La lecture d’un écrit, par sa complexité, son style, la finesse de ses descriptions peut provoquer empathie et séduction chez les auditeurs. L’émotion traverse les mots par la parole de celui qui lit et peut créer une ambiance, donner l’illusion de vivre la scène avec lui.

L’acceptation de la critique, qu’elle soit positive ou négative est un témoin de la progression individuelle. Le sujet entend-il l’altérité ? S’autorise-t-il à s’autocritiquer ? La lecture est toujours un temps où le sujet s’expose, expose son ressenti ou son histoire, et se confronte à l’autre. A ce moment, l’animateur soutient la verbalisation personnelle (ce que l’auteur pense de son propre texte), aide à reformuler l’idée centrale. Il ne donne son avis qu’en dernier, de manière à ne pas inhiber la pensée de chacun. Les échanges qui se créent sont emprunts de soutien, d’opposition, de nuance, et sont toujours stimulants pour la dynamique groupale. Les avis peuvent diverger, mais l’animateur insiste sur leurs aspects complémentaires et le compromis. L’écriture de soi ouvre ainsi à l’existence de l’autre et aux liens intersubjectifs.

L’écriture est un média intéressant en hôpital de jour, en ce qu’il apporte un support de renarcissisation par le groupe. [Les patients présentent souvent des troubles anxio-dépressifs, avec pour symptômes : repli sur soi, perte d’estime de soi, altération du jugement, hypersensibilité à la critique etc.] Le groupe renvoie à l’auteur des félicitations, des compliments tant par la construction de son texte que par son contenu (la manière d’aborder le thème). L’auteur se sent soutenu et valorisé par le groupe, dans sa progression et son évolution de la problématique qu’il verbalise au sein du groupe.

Une fois qu’un patient a pris ses marques dans l’atelier, il est en recherche de style pour écrire. Les patients plus novices s’inspirent de ces techniques pour plaire et par désir d’avancer. Pour être reconnu en tant que membre du groupe aussi. Dans la pratique d’un atelier écriture et en phase de verbalisation, nous insistons sur l’aspect personnel qui ponctue les interventions des patients, la recherche d’un style d’écriture pouvant être une tentative de mise à distance des affects. L’atelier est indiqué à des patients maîtrisant la langue française et pour qui ça ne renvoie pas à la situation scolaire pouvant faire écho à un vécu chaotique ou lacunaire. Certains patients travaillent et retravaillent leur texte, tandis que les efforts de certains autres peuvent être axés sur l’expression et l’affirmation en groupe.

Il y a deux dimensions à l’atelier : le thérapeutique (on y parle de soi, de ses souffrances, de ses difficultés, de ses projets) et l’occupationnel (activité-plaisir). L’ atelier écriture n’est pas l’atelier à médiation que j’anime où la confusion entre ces deux dimensions est la plus flagrante. Le plaisir tiré de la participation à l’atelier écriture peut être un moteur qui pousse le sujet à venir.

L’écriture favorise-t-il la levée du refoulement ? Nous observons combien l’inconscient s’exprime à travers l’écriture, en insistant (par répétition, non-dits, transpositions) sur des évènements ou sentiments particuliers. Dans la clinique, cela arrive fréquemment qu’un patient ne parle que d’un aspect particulier de sa vie (relation à un parent, un enfant, un conjoint, sphère professionnelle etc.) et répète cela, d’atelier en atelier. Par le biais du jeu avec les mots, l’écriture se rapproche d’un travail de création. Le patient tente de se représenter, de redéfinir des impressions évanouies ou enfouies de son histoire. L’idée est qu’il puisse la recomposer, en faire émerger de nouvelles représentations. D’autant plus si son histoire est liée à la souffrance de l’objet perdu (dépression, deuil…).

Le travail d’écriture serait donc une sublimation des pulsions, ainsi déviées vers des objets socialement valorisés. Il peut aussi rassembler en une seule activité de nombreux mécanismes défensifs tels : intellectualisation, rêverie, rationalisation etc.

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